Le désert intérieur (Marie-Madeleine Davy (1903-1998))
Née à Paris en 1903, Marie-Madeleine Davy repose depuis le 1er novembre 1998 au cimetière de Saint Clémentin, dans le département des Deux-Sèvres. Sa tombe, anonyme, porte ses simples mots : « Sois heureux, passant ». Tel est l’ultime témoignage de son existence hors du commun qui, certes, s’est achevée dans la solitude, mais la solitude des « enfants des mystères », comme elle l’écrivait, à propos de Jacob Boehme.
Titulaire d’un doctorat d’état avec une thèse consacrée à Guillaume de Saint Thierry, Marie-Madeleine Davy fut une médiéviste reconnue, seule femme de l’époque issue de la formation des Jésuites de l’Institut Catholique de Paris. En fait, elle fut une médiéviste d’un genre un peu particulier parce qu’elle apparaît comme une initiée à la philosophie médiévale, à la « philosophie monastique », tournée vers l’acquisition de la Sagesse, fidèle au mystère de la parole divine exprimée dans l’Ancien et le Nouveau Testament.
C’est ainsi qu’à Saint Bernard, qui lui avait enseigné l’importance à accorder aux « sens intérieurs », succèdera très tôt, dans le cœur de Marie-Madeleine Davy, Maître Eckhart : « Tout d’abord, la quiétude cartusienne m’a séduite. En même temps, je me suis promenée dans les vallées intérieures de Cîteaux. Les Rhénans, en particulier Eckhart, m’ont ensuite propulsée vers un ailleurs que j’étais incapable d’atteindre » De Maître Eckhart, justement, elle me dira un jour qu’il avait été son plus grand amour – et qu’il lui avait appris le « détachement de soi ».
Mais, Marie-Madeleine Davy fut aussi, très tôt, résistante. Agent de liaison à motocyclette, responsable d’un réseau d’évasion, elle est restée très discrète sur ses activités et sur les dangers encourus pendant cette période. On sait toutefois que son réseau organise des rencontres d’intellectuels (une autre forme de résistance) : des philosophes comme Jean Wahl et Maurice de Gandillac, le docteur Lacan, Lanza del Vasto, Jean Grenier, Simone Weil et toute une jeune génération d’écrivains : Michel Butor, Gilles Deleuze, Michel Tournier, Jean Daniélou, Pierre Klossowski et Louis Massignon…
Dans son livre, l’auteur traite de la vocation des hommes nouveaux qui sera «d’être voués au sanctuaire de l’homme intérieur» et du fait que ce «sanctuaire» ne sera plus fréquenté par une très faible minorité choisissant le désert extérieur comme lieu d’élection, mais par un grand nombre vivant parmi la foule tout en se tenant dans le désert du dedans.
La mort de Dieu a été
annoncée à grand fracas et comme on pouvait s’y attendre, elle fut suivie par
la mort de l’homme. Qu’allions-nous faire sans Dieu et sans homme, sinon
attendre la mort du monde ? C’est pourquoi, le christianisme étant
institutionnalisé depuis des siècles, il importait non pas de le quitter mais
de le redécouvrir en abandonnant les caricatures qui l’ensevelissent et le
défigurent.
Mais, pour cela, comment
provoquer la naissance de la dimension intérieure, découvrir le « royaume du
dedans » ? Hier la réponse aurait été simple puisqu’il suffisait de prendre une
des voies traditionnelles et de se maintenir dans son sillage. Mais l’homme a
évolué et son exigence est devenue plus subtile. Il s’éprouve, désormais, dans
la nécessité de communier à l’universel, de rencontrer ses frères et de
partager un amour identique, une semblable connaissance. Or, un seul banquet
existe auquel tous les hommes sont conviés, indépendamment de leur origine et
de leurs options et un dieu unique préside à ce festin, son amour éternel
s’étendant indistinctement sur tous ceux qui s’orientent vers elle avec foi et
confiance.
L’homme séduit par le
dedans doit ainsi poursuivre inexorablement sa route en sachant que le passage
par la solitude, voire l’isolement, précède la communion. Il doit cheminer seul
avant de rencontrer ses frères, se libérer des fausses notions dont il a été
parfois imbibé et pétri pendant son adolescence et sa jeunesse. Il lui faut
devenir un homme neuf, choisissant une nouveauté de vie.
Or cette nouveauté de
vie ne survient qu’après un ultime détachement de tout ce qui encombre et qu’on
a pu durant longtemps supposer nécessaire. Dans ce mouvement, aucune tradition
n’est récusée, aucune religion écartée. Elles sont simplement épurées des
divers revêtements imputables à l’Histoire pour devenir d’autant plus vivantes,
dégagées du fatras qui les encombrait et rebutait les hommes épris d’Absolu et
d’authenticité. Privées de leur gangue, elles libèrent enfin leurs parcelles
d’or.
Mais, l’auteur
s’interroge également sur ce lieu dans lequel amour et connaissance se
jumellent, où le détachement fleurit en expérience, faisant franchir la Porte
d’or donnant accès au " Verger des Mystères " ? En fait, cet endroit porte
un nom : il s’appelle le désert.
Certains lecteurs pourraient
s’irriter devant un certain optimisme plus ou moins volontairement exprimé
parce qu’une telle confiance peut sembler de mauvais goût dans une période où
tout se dégrade. S’il s’agit moins d’un optimisme que de la conscience d’un
déluge dévastateur sur tous les continents, ce que l’auteur propose, c’est une
«arche», un «sanctuaire intérieur» dans lequel l’homme est invité à pénétrer.
C’est ce que le désert intérieur symbolise.
En conclusion, ou
l’homme deviendra un robot situé au-dessous de l’animal ou il lui est encore
possible d’acquérir un nouveau type de conscience. Le désert intérieur désigne
le laboratoire où devrait s’opérer cette mutation.
Actuellement, le désert
intérieur est comparable à une île habitée par quelques insulaires. Demain espérons
qu’il soit un continent devenant de plus en plus vaste !